Un patrimoine agricole au cœur du Morbihan

Cerné par les prairies et les bocages, le village de Kernascléden regorge encore aujourd’hui de fermes traditionnelles, véritables témoins d’une vie rurale longtemps vibrante. Ces bâtisses, silencieuses ou encore animées, nous racontent l’histoire collective des habitants du pays de Plouay, tout en mettant en lumière les évolutions du travail de la terre du XIXe et XXe siècles.

Kernascléden, devenue commune en 1955 en se détachant de Saint-Caradec-Trégomel, partage un passé agricole dense : selon les archives communales, au début des années 1920, plus de 90% des familles du village dépendaient directement ou indirectement de l’agriculture (Archives départementales du Morbihan).

Les particularités architecturales des fermes kernascledinoises

Les fermes de Kernascléden révèlent l’identité bretonne du territoire à travers leur architecture robuste et adaptée au climat. L’observation attentive de ces bâtiments nous éclaire sur la manière dont la vie quotidienne s’est organisée durant des générations.

  • Matériaux locaux : La majeure partie des constructions utilisent le granit local, reconnaissable à sa teinte grisée, parfois rehaussée par la présence de schiste. Ces matériaux étaient extraits des carrières du secteur ou récupérés sur place, reflétant l’économie circulaire avant l’heure.
  • Toitures traditionnelles : Les toits à deux pans, couverts d’ardoises, témoignent de l’influence du climat breton, avec une pente prononcée pour évacuer efficacement la pluie. À l’origine, certaines toitures étaient recouvertes de chaume, végétal local peu onéreux, progressivement remplacé après la Première Guerre mondiale.
  • Dispositions en U ou en L : Les bâtiments s’organisaient autour de cours fermées, mêlant longère (habitat principal), étables, grange et dépendances agricoles. Cette disposition offrait protection contre les vents et facilité de circulation.
  • Détails distinctifs : Porches en granit portant parfois la date de construction ou les initiales du fondateur, fenêtres étroites pour limiter la déperdition de chaleur, puits ou fours à pain en pierre attenants.

Plus de 40 ensembles agricoles du XIXe siècle sont encore identifiables sur la commune, si l’on s’en réfère à l’inventaire du Patrimoine rural du Morbihan (source : inventaire-patrimoine.region-bretagne.fr).

Le quotidien à la ferme : organisation et rythme de vie

Entrer dans une ferme traditionnelle, c’est toucher du doigt une autre organisation de la vie, scandée par les saisons, les foires, la messe du dimanche… mais surtout par les impératifs de la terre et du bétail.

  • Polyactivité familiale : Jusque dans les années 1950, la plupart des fermes kernascledinoises étaient tenues par des familles de 5 à 8 personnes, qui partageaient les tâches entre les cultures (sarrasin, blé noir, avoine), l’élevage (porcs, vaches pie-noire, poules), le jardin potager, et parfois la pêche dans le Scorff.
  • Économie à la fois vivrière et commerciale : Les fermes produisaient d’abord pour nourrir la famille, puis pour vendre sur les marchés de Plouay ou à la foire d’Hennebont. L’arrivée du chemin de fer à Plouay, à la fin du XIXe siècle, facilite l’exportation du beurre et des œufs vers Lorient et Pontivy (source : Société d'Histoire du Pays de Plouay).
  • Rythmes saisonniers :
    • Labours et semailles en mars-avril
    • Fenaisons de juin (travail du foin, souvent collectif avec les voisins : la "parre")
    • Moissons à la faucille ou à la faux jusqu'aux années 1950
    • "Bruzhu" ou battage du blé en octobre : fête communautaire, suivie d’un repas

Une enquête de 1926 note que chaque ferme kernascledinoise possédait en moyenne 9 hectares de terres, avec 4 à 6 vaches et 2 chevaux de trait (Recensement agricole du Morbihan 1926).

Fermes et vie sociale : solidarité et transmission

Plus qu’un simple lieu de production, la ferme animait aussi la vie sociale du village. Fêtes agricoles, entraide lors des gros travaux, veillées au coin du feu pour raconter histoires et légendes tissaient la communauté.

  • L’entraide : S’aider durant les moissons, vintager d’un voisin lors de la fenaison, prêter animal ou charrette… cette solidarité (appelée « jober ») s’exprimait aussi lors des mariages ou enterrements, où tout le monde participait à la mise en place du repas ou de la déco.
  • Les veillées : De novembre à février, chaque ferme accueillait un soir famille et voisins pour « veiller » : on racontait la Grand’Goule du Scorff, on filait la laine, on jouait aux cartes ou on récitait des chants en breton. Ce sont ces soirs-là que se transmettaient les contes locaux et les techniques agricoles.
  • L’école et la laïcité : Jusqu’en 1936, beaucoup d’enfants de fermes alternaient entre l’école et le travail aux champs, surtout lors des récoltes ou des naissances. L’école du bourg, rénovée dans les années 1930, reçoit alors plus de 120 élèves, preuve de la vitalité démographique du pays.

Transformations, déclin… et renaissance ?

L’après-guerre amorce des bouleversements profonds : exode rural, motorisation progressive, regroupements d’exploitations. Entre 1950 et 1980, le nombre de fermes est divisé par trois. Pourtant, le patrimoine ne disparaît pas : certaines assument désormais une nouvelle vocation.

  • Des logements à la location : Plusieurs anciennes granges ou corps de ferme, inoccupés, sont rénovés en gîtes ou maisons de charme, offrant aujourd’hui un hébergement typique à ceux qui veulent revivre l’authenticité du passé.
  • Un retour à la terre : De jeunes agriculteurs relancent des micro-fermes, parfois en bio, s’inspirant des pratiques anciennes (rotation des cultures, polyculture-élevage) mais avec de nouvelles ambitions : circuits courts, accueil pédagogique, maintien de la biodiversité (Chambre d’Agriculture du Morbihan).
  • Valorisation patrimoniale : Des initiatives comme les « Journées du Patrimoine » ou des balades guidées permettent d’ouvrir ces fermes quelques jours par an et de transmettre leur mémoire.

Récits et anecdotes du terroir kernascledinois

  • Le four à pain du hameau de La Croix verte, restauré en 2017, accueille chaque année une soirée « galettes » ouverte aux villageois. On y cuit le pain à l’ancienne, ravivant des gestes transmis depuis le XVIIIe siècle.
  • On raconte qu’à la ferme de Kermabon, la transmission du savoir se faisait dès l’âge de 7 ans : les enfants de la maisonnée devaient reconnaître les différentes sortes de graines rien qu’au toucher, exploit rapporté dans un entretien de 1982 par René Le Floch, habitant du secteur.
  • Sur la route de Kernascleden à Pont-calleck, certaines granges portent encore, scellées dans la pierre, des traces de mesures gravées : elles servaient à compter les gerbes lors du partage des récoltes entre propriétaires et métayers.

Derrière chaque ferme, une famille, un mode de vie, un pan de l’histoire locale. Parfois, lors d’une promenade, il suffit de discuter avec un habitant pour entendre surgir une anecdote sur une vieille festivité, une technique de fabrication de cidre ou la survie durant la grande sécheresse de 1976, qui a frappé l’ensemble du Morbihan et mis à l’épreuve la résilience des exploitants locaux.

Une invitation à la découverte des fermes de Kernascléden

Aujourd’hui, si les paysages agricoles ont évolué, les fermes traditionnelles de Kernascléden continuent de porter la mémoire d’une vie rurale autrefois intense et solidaire. Chacune raconte, entre ses pierres et ses toitures, les efforts des générations passées et inspire les nouvelles initiatives rurales.

Pour qui souhaite découvrir le patrimoine rural de Kernascléden, rien ne vaut une flânerie à travers les hameaux de Kermabon, Keranchas ou Kerhervy. Quelques fermes, situées hors des sentiers battus, ouvrent leurs portes lors de manifestations locales ou de circuits balisés (voir agenda en mairie). Les visiteurs y trouveront la saveur de la terre, la chaleur de l’accueil, et le plaisir d’écouter, autour d’un bol de cidre, des histoires authentiques sur la vie d’autrefois.

La ferme bretonne, à Kernascléden comme ailleurs, ne se résume pas à ses murs : elle incarne un mode de vie où la solidarité, la transmission des savoirs, et la relation à la nature occupaient une place centrale. À travers elles, c’est tout l’esprit du Morbihan rural qui se laisse approcher et comprendre, toujours prêt à livrer de nouveaux secrets à qui veut prendre le temps de regarder et d’écouter.

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