Un trésor de l’art médiéval breton caché à la vue de tous

Au cœur du Morbihan, la petite commune de Kernascléden abrite un chef-d’œuvre singulier : les fresques du « bal des morts », parmi les plus remarquables dans toute la Bretagne. Installées dans la chapelle Notre-Dame de Kernascléden, ces peintures murales fascinent autant les passionnés d’art que les visiteurs curieux, tant par leur puissance évocatrice que par leur mystère. Mais que racontent-elles ? Pourquoi ont-elles été peintes ici, au XVe siècle, et qu’est-ce qui rend leur présence si marquante aujourd’hui ? Découvrons ensemble l’histoire et les secrets de ces fresques qui font battre le cœur du patrimoine local.

À la découverte de la chapelle Notre-Dame de Kernascléden

Avant d’entrer dans le vif du sujet, impossible de passer sous silence l’écrin exceptionnel que constitue la chapelle Notre-Dame de Kernascléden. Édifiée entre 1420 et 1464, selon la Chronique de Saint-Nicolas (Wikipedia), sa construction est le fruit du dynamisme économique médiéval de la région, en particulier grâce au lin et au commerce. La chapelle témoigne de la spiritualité gothique flamboyante en Bretagne avec ses voûtes décorées, ses vitraux colorés, et surtout ses fresques murales saisissantes.

Une nef aux murs peints, témoin d’une époque

  • Date d’achèvement : 1464.
  • Principal commanditaire : Les seigneurs de Rohan, puissants ducs bretons.
  • Conservation : Plusieurs campagnes de restauration, notamment au XXe siècle, attestent de l’importance de ces fresques (Base Mérimée).

Naissance et diffusion d’un imaginaire : le « bal des morts »

Le « bal des morts » de Kernascléden est en réalité une représentation magistrale de la Danse macabre, un thème artistique et littéraire né à la fin du Moyen Âge, particulièrement en Europe de l’Ouest. Celles de Kernascléden, datées du dernier tiers du XVe siècle, comptent parmi les plus anciennes fresques de Bretagne, avec celles de Kermaria-an-Isquit ou la maîtresse-œuvre de la Chaise-Dieu.

Qu’est-ce qu’une danse macabre ?

La Danse macabre met en scène une ronde, un défilé ou un « bal » dans lequel vivants et morts – squelettes et personnages de toutes conditions – se tiennent la main. Son message : la mort n’épargne personne, quelle que soit la richesse, l’âge ou le statut.

  • Premières mentions : Début XVe siècle à Paris (cimetière des Innocents, fresques disparues).
  • Extension : Présentes dans de nombreuses églises de France, d’Allemagne, de Suisse et d’Espagne jusqu’au XVIe siècle.

L’imaginaire médiéval bruisse alors de craintes liées aux famines, aux épidémies de peste (la « mort noire » a frappé trois fois la Bretagne entre 1347 et 1375) et aux guerres incessantes. La fresque est un outil de pédagogie religieuse et de mémoire collective.

Les fresques de Kernascléden : description, symboles et scènes marquantes

Où se trouvent-elles ?

Les fresques ornent le bas-côté nord de la chapelle, sur environ 12 mètres, à hauteur d’homme. Elles sont aujourd’hui protégées et éclairées pour permettre aux visiteurs d’en saisir tous les détails, même si certaines parties sont endommagées par le temps.

Qui sont les personnages ?

  • Le cortège des vivants : On identifie rois, reines, évêques, abbés, chevaliers, bourgeois, marchands et paysans. Les costumes reflètent fidèlement la société bretonne du XVe siècle.
  • Les morts : Des squelettes animés, parfois habillés de haillons, grotesques et dansants, qui entraînent chaque vivant dans leur ronde.

La lecture de la fresque : une histoire en images

  1. Un rappel universel : Chaque vivant est accompagné d’un mort, qui l’invite à danser, insistant sur l’universalité de la mort.
  2. Le dialogue : Des banderoles (dont il subsiste des fragments) portaient jadis des textes en vieux breton ou en latin, où morts et vivants s’interpellaient. Exemple : « Tu es poussière, et tu retourneras en poussière ».
  3. La mise en mouvement : Contrairement à d’autres sites, les figures ici sont dynamiques : certains squelettes rient, d'autres semblent tirer de force les puissants de ce monde !

Symbolique et messages cachés

  • Memento mori : Invitation à réfléchir sur le sens de la vie, et à l’humilité face à la fatalité.
  • Instruction religieuse : Dans une époque de faible alphabétisation, la fresque sert de leçon visuelle puissante sur la nécessité de préparer son salut, peu importe la richesse sociale.
  • Actualité au XVe siècle : La fresque témoigne de la crainte profonde envers la peste, mais aussi du sens communautaire du village (tout le monde, du noble au paysan, partage le même sort).

La technique picturale : secrets d’atelier et couleurs du Moyen Âge

Les fresques de Kernascléden sont réalisées « a secco » (sur enduit sec), méthode courante en Bretagne, selon le Centre de Conservation des Oeuvres d’Art de Quimper (CCOAQ). Les pigments utilisés (ocres, noirs de charbon, blanc de chaux) sont produits localement. Si certaines couleurs se sont atténuées, les vestiges de rouges et jaunes témoignent d’une polychromie spectaculaire à leur origine.

  • Durée d’exécution estimée : Entre 2 à 3 saisons, en tenant compte des séchages et du climat humide.
  • Artisanat local : Les peintres étaient souvent itinérants, recrutés par les seigneurs de la région.

Comparaisons : Ce qui fait l’unicité de Kernascléden

Si la Bretagne compte d’autres danses macabres, celle de Kernascléden se distingue sur plusieurs points :

  • État de conservation : Malgré des restaurations et des aléas du temps, la scène reste lisible, ce qui est rare (moins de 15 danses macabres subsistent en France, toutes en état fragmentaire selon l’Inventaire Général du Patrimoine Culturel).
  • Richesse vestimentaire : Les habits sont peints avec une grande fidélité et révèlent la diversité des classes sociales du bourg de l’époque.
  • Esprit satirique : Chez certains personnages, les visages expriment des émotions : surprise, résignation, colère – un réalisme psychologique rare pour l’époque.
  • Un message universel : Alors que certaines danses macabres privilégient les élites, Kernascléden fait défiler ducs, prêtres et humbles sur le même pied d’égalité.

La fresque est ainsi à la fois œuvre d’art, témoin historique et document ethnographique.

La fascination continue : restauration, visites et légendes autour des fresques

Les soins et les restaurations

  • Début des restaurations : Dès le XIXe siècle, elles bénéficient d’un regain d’attention avec l’inscription de la chapelle à l’Inventaire des Monuments Historiques en 1857.
  • Techniques actuelles : Utilisation de cristallisation, consolidations, nettoyages très doux pour préserver pigments et supports fragiles.

Le site est accessible toute l’année, et de nombreux guides locaux proposent des visites commentées (groupes, scolaires, familles).

Légendes locales et anecdotes

  • Une rumeur évoque qu’un prêtre refusa un jour de regarder la danse de peur d’y voir son propre visage…
  • Chaque année, lors de la Toussaint, des habitants glissent une fleur au pied de la fresque, en hommage aux disparus – une tradition qui perdure discrètement.

Pourquoi ces fresques parlent-elles tant aujourd’hui ?

Le message universel porté par la fresque du bal des morts ne s’est jamais essoufflé. Si la crainte de la peste a disparu, le public est frappé par la modernité de la réflexion sur le temps qui passe, l’égalité de tous devant la mort, et la tendresse mêlée d’ironie qui transpire des personnages.

  • Un art démocratique : Oeuvre destinée à tous, visible par chacun, la fresque parle au cœur comme à l’intellect.
  • Un témoignage unique : Elle donne à voir un « instantané » de la société bretonne du XVe siècle, costumes, notabilités, populaire inclus.
  • Un attrait touristique : Plus de 12 000 visiteurs viennent chaque année à Kernascléden, et la fresque est l’une des raisons principales de ce succès. (La Nouvelle République).

En plus de l’émotion, les fresques sont aujourd’hui un support pédagogique : ateliers, expositions, visites théâtralisées ou activités pour enfants enrichissent la découverte du site.

L’avenir des fresques : préservation et transmission

Classées Monument Historique, les fresques du bal des morts sont au centre d’efforts constants de préservation. L’enjeu est désormais de faire parler ces murs pour les générations futures, de transmettre la mémoire locale tout en intégrant innovations technologiques : outils de réalité augmentée, visites virtuelles, programmes scolaires.

Véritable pont entre passé et présent, cette fresque donne un autre regard sur la vie de Kernascléden et invite à découvrir au détour d’une nef, l’humanité profonde qui traverse les siècles. Chacun est invité à venir observer ces visages, et pourquoi pas, y trouver les échos de ses propres questionnements existentiel.

Pour continuer la découverte

  • La chapelle et ses fresques sont ouvertes à la visite toute l’année : site officiel de la mairie
  • Pour aller plus loin sur l’origine de la Danse macabre, voir le travail du CNRS et les ouvrages de Jean-Claude Schmitt.
  • Des visites guidées thématiques sont proposées d’avril à octobre pour adultes et enfants.

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