Un monument au cœur de l’imaginaire breton

La chapelle Notre-Dame de Kernascléden, chef-d’œuvre du gothique flamboyant breton du XVe siècle, ne cesse d’éveiller les curiosités. Classé Monument historique dès 1857 (Base Mérimée - Ministère de la Culture), ce remarquable édifice attire autant par la beauté de ses voûtes étoilées que par l’aura de mystères qui l’enveloppe. En Morbihan, où le visible côtoie toujours l’invisible, le patrimoine s’enrichit de récits séculaires, transmis au fil des veillées et des générations.

À Kernascléden, la chapelle n’est pas qu’un joyau architectural. C’est un véritable livre ouvert sur la mémoire collective, où chaque pierre, chaque fresque invite à la rêverie, et parfois, au frisson.

Les origines mystérieuses de la chapelle et sa popularité

Implantée dans une région de bocages et de légendes, la chapelle Notre-Dame de Kernascléden aurait été construite entre 1420 et 1464, sous l’impulsion de la puissante famille des Rohan. Pourtant, certaines traditions orales laissent entendre que le lieu était considéré depuis bien longtemps comme un site à part, propice à la prière et, dit-on, aux apparitions. Plusieurs villages voisins racontent qu’un bois sacré, antérieur à la chapelle, se serait dressé jadis à cet emplacement (Erwan Chartier, "Légendes de Bretagne").

  • Des fouilles archéologiques réalisées en 2017 ont effectivement révélé la présence d’anciens vestiges, suggérant une occupation religieuse ancienne du site (source : INRAP).
  • Les archives évoquent des pèlerinages dès la fin du Moyen-Âge, dont le succès aurait été renforcé par des récits de miracles attribués à la Vierge de Kernascléden.

Les habitants disent encore aujourd’hui que la chapelle occuperait le croisement de plusieurs "lignes énergétiques", parfois représentées sur de vieilles cartes et associées aux lieux de légendes.

Apparitions, fantômes et fresque de la "Danse Macabre"

Ce qui distingue Kernascléden, c’est bien sûr son extraordinaire fresque de la "Danse Macabre", peinte vers 1464. S’étendant sur plus de 12 mètres, elle représente une procession de squelettes entraînant riches, pauvres, clercs et laïcs dans la ronde inéluctable de la mort.

  • La Danse Macabre de Kernascléden est la mieux conservée de Bretagne (Patrimoine.bzh).
  • Ce type de fresque symbolisait la fragilité humaine, mais la tradition locale y voit un avertissement adressé aux "vivants trop curieux" qui pénétreraient dans la chapelle de nuit…
  • Au XIXe siècle, des habitants prétendaient entendre le soir, entre la Toussaint et la Saint-Martin, le froissement d’une robe ou le cliquetis d’ossements dans la nef. Certains allaient jusqu’à dire qu’un "fantôme sans nom", drapé d’un linceul, apparaissait un bref instant près de la fresque.

Les guides locaux rapportent que ces témoignages attiraient autant de curieux que de croyants, et certains anciens affirment "qu’il ne faut pas défier les morts en riant devant la fresque".

La Dame Blanche de Kernascléden : protectrice ou spectre ?

Beaucoup de villages bretons ont leur "Dame Blanche". À Kernascléden, la légende raconte l’histoire d’une femme voilée, vêtue de blanc, qui apparaissait près de la fontaine de la chapelle, surtout les nuits de grand brouillard. Selon les récits recueillis par Paul-Yves Sébillot, elle aurait sauvé un jeune garçon tombé dans la rivière du Scorff : "Ne crie pas, je veille", lui aurait-elle murmuré avant de disparaître dans la brume.

  • Certains y voient la Vierge elle-même, protectrice des enfants égarés et des femmes en couches.
  • D’autres redoutaient son apparition, synonyme de malheur à venir ou d’annonce d’un décès dans la communauté.
  • Une coutume consistait à déposer un rameau de buis béni devant la fontaine pour s’attirer ses bonnes grâces.

Aujourd’hui encore, la Dame Blanche symbolise la dualité du merveilleux breton : mi-angélique, mi-fantastique.

Miracles, guérisons et offrandes : la chapelle, haut lieu de pèlerinages

La chapelle de Kernascléden fut très tôt un lieu de pèlerinage. Les récits de miracles y sont foison :

  • Selon un registre paroissial de 1669, une femme guérie d’une "fièvre brûlante" aurait, pour remercier la Vierge, offert un ex-voto aujourd’hui disparu (Archives départementales du Morbihan).
  • Une tradition voulait que les enfants souffrant de troubles de la parole boivent l’eau de la fontaine Sainte-Germaine, toute proche, et fassent trois fois le tour de la chapelle pour retrouver la parole.
  • Une anecdote rapportée en 1932 par un instituteur local raconte qu’en période de sécheresse, une procession se rendait à la chapelle pour demander la pluie : "Le lendemain, le ciel pleurait sur les blés", disait-on alors dans le bourg.

Encore aujourd’hui, la procession du 15 août mêle office religieux et coutumes païennes, avec la bénédiction des champs et la musique des "sonneurs" résonnant sur le parvis.

Superstitions, rites et petits interdits autour du sanctuaire

Impossible d’évoquer la magie du lieu sans parler des nombreuses superstitions qui l’entourent. Voici quelques-unes des croyances les plus tenaces, glanées auprès des anciens :

  • Le banc des promises : Il était dit que les jeunes filles désireuses de se marier devaient s’asseoir sur un banc précis, près de la troisième travée sud, durant la messe de la Saint-Jean. Sous trois mois, elles devaient trouver fiancé selon la légende !
  • Bouche fermée : Lors de la visite, il fallait éviter de parler du diable ou de la mort dans la nef, sous peine d’attirer malheur sur soi. Une superstition héritée de l’époque où la chapelle abritait une forte présence de représentations de démons sur ses fresques.
  • Pas de lumière neuve : Seuls les cierges ayant déjà brûlé lors d’une messe étaient admis sur l’autel supérieur ; allumer un cierge pour la première fois aurait, croyait-on, "attisé le courroux" d’un "Vieux Malin".
  • Le jeu de la pierre : Près de l’entrée, une pierre gravée porte une marque mystérieuse. Les enfants du village jouaient à l’effleurer sans s’arrêter, persuadés qu’elle prédirait leurs rêves.

Curieux mélange de religion, de folklore et de mémoire populaire, ces petites histoires donnent au sanctuaire une coloration unique.

Petites histoires et anecdotes recueillies près de l’édifice

Nombre de visiteurs, qu’ils soient croyants ou simplement en quête d’atmosphère, repartent de la chapelle avec une anecdote à raconter. Voici quelques fragments recueillis au fil des saisons :

  • Un guide rapporte avoir vu, à plusieurs reprises, des hirondelles tourner en silence sous les voûtes le soir du 1er mai, "comme pour honorer les anciens esprits". Personne n’a jamais expliqué ce phénomène — les oiseaux n’y sont visibles qu’à cette date.
  • Plusieurs habitants disent avoir entendu, au petit matin, des bruits de cloches "qui ne sonnaient pas", alors que personne ne se trouvait au clocher. L’explication scientifique évoque le souffle du vent dans la charpente, mais le récit, lui, continue de se transmettre.
  • Une relique, jadis conservée dans un coffre dissimulé sous le grand autel, aurait été subtilisée durant la Révolution ; certains pensent qu’elle est enfouie dans un champ voisin, d’autres assurent qu’un mystérieux "chien noir" sert toujours de gardien au trésor.
  • Lors du nettoyage de 1959, des ouvriers auraient découvert, entre deux poutres, un petit cahier de prières écrit en breton ancien, mentionnant "les signes de la fileuse de nuit" : nul n’a su l’interpréter en entier à ce jour.

Il existe aussi de nombreuses histoires de promesses exaucées ou, au contraire, restées sans suite, toutes nimbées de discrétion mais jamais oubliées.

La chapelle aujourd’hui : une source d’inspiration toujours vivante

Malgré la modernité, les légendes de Notre-Dame de Kernascléden continuent d’inspirer. Le bourg valorise cet héritage à travers des visites guidées estivales, des spectacles son et lumière, et parfois des veillées contées. La chapelle fait également partie du réseau des "Marqueurs identitaires du Pays de Pontivy", mettant en avant la transmission du patrimoine oral (Pays de Pontivy Communauté).

Pour les amoureux du mystère, chaque visite est une invitation à écouter les pierres, à observer à la lumière du soir les ombres qui dansent sur les fresques. Le territoire invite à la curiosité bienveillante : chaque conte, chaque superstition, chaque secret partagé fait battre le cœur de Kernascléden un peu plus fort.

Les légendes ne sont pas des histoires figées. Elles évoluent avec ceux qui les racontent, forment une passerelle entre le passé et l’avenir, et, ici, sont encore vivantes, prêtes à s’enrichir de nouveaux récits — pourquoi pas du vôtre ?

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