Un joyau breton, témoin de plusieurs siècles d’histoire

Au cœur du village de Kernascléden, la chapelle Notre-Dame veille, majestueuse, sur la vallée du Scorff. Bien plus qu’un simple édifice religieux, elle est le symbole d’un pays, le Morbihan, et d’une communauté qui a traversé les époques en préservant son âme. Remarquée pour la richesse de son architecture flamboyante et la fraîcheur de ses décors, la chapelle est aujourd’hui considérée comme l’un des chefs-d’œuvre du gothique flamboyant en Bretagne (Monuments Historiques).

Des origines mystérieuses au sein de la Bretagne médiévale

Au début du XVe siècle, la région est marquée par les conflits féodaux, mais aussi par une grande vitalité spirituelle. C’est dans ce contexte, entre 1420 et 1464, que la chapelle Notre-Dame voit le jour. Sa construction, ordonnée par les seigneurs de Rohan-Guémené, répond à une double ambition : affirmer leur prestige et offrir aux populations un lieu de pèlerinage qui rayonnerait au-delà des paroisses voisines (P. de la Bigne Villeneuve, "La Chapelle de Kernascléden", 1948).

L’acte fondateur demeure, à ce jour, l’un des mystères non résolus de l’histoire locale : s’agissait-il d’une ancienne chapelle réédifiée, ou bien d’un projet totalement neuf ? Les recherches archéologiques n’ont pas permis de trancher totalement, mais les premières mentions datent bien du début du XVe siècle.

Les grandes phases de construction et d’agrandissement

La construction du vaisseau principal démarre dans les années 1420. Si l’on en croit les chroniques et les analyses du bâti, plusieurs campagnes ont rythmé l’édification du monument :

  • 1420-1450 : élévation du chœur et de la nef, financée par les Rohan et dirigée par des maîtres-maçons locaux.
  • 1450-1464 : ajout du porche sud et des sablières sculptées.
  • Milieu du XVIe siècle : importante phase de décoration peinte à l’intérieur, dont témoigne encore aujourd’hui l’un des plus beaux ensembles de fresques sur la mort dansante de Bretagne.

L’ensemble est consacré en 1464, mais les travaux d’embellissement se poursuivent durant la Renaissance. Les dons des familles nobles et l’engagement de la communauté permettent l’ajout du clocher ajouré et de vitraux colorés qui capteront la lumière bretonne jusqu’à nos jours.

Une architecture gothique flamboyante exceptionnelle

Ce qui frappe d’emblée, c’est cette profusion de détails, symbole du style gothique flamboyant : rosaces à réseaux, pinacles ajourés, motifs végétaux courant le long des arcatures. La chapelle surprend par son plan sobre et élancé, mais aussi par l’extraordinaire inventivité de ses artisans, dont les noms, pour la plupart, se sont malheureusement perdus dans l’histoire.

  • Longueur totale : environ 32 mètres
  • Largeur de la nef : près de 8 mètres
  • Hauteur sous voûte : plus de 12 mètres

L’un des éléments marquants est le portail sud, richement sculpté, où alternent animaux fantastiques, saints, blasons des familles et éléments floraux. On note aussi la présence de sablières peintes figurant des scènes du quotidien et de nombreux mascarons - ces têtes grotesques ou souriantes invitant chaque visiteur à regarder le Moyen Âge autrement.

Les sablières : un livre d’images à hauteur d’enfant

Ici, la pierre n’est pas seule à parler. Plus de 70 mètres de sablières peintes racontent la vie rurale, les dictons populaires, et même des anecdotes piquantes comme celle du joueur de biniou poursuivi par une oie, ou du meunier endormi oublié par sa mule. Ces détails étaient là pour éduquer, mais aussi divertir les fidèles le long des longs offices - une manière bretonne de mêler le sacré et le profane.

Le trésor des fresques : une danse macabre unique en Bretagne

Dès l’entrée dans la chapelle, le regard du visiteur est happé par les fresques murales exceptionnelles. Réalisées autour de 1464, elles illustrent un thème peu courant dans l’Ouest : la Danse Macabre. Sur près de 150 m2 de peintures, une procession de personnages, du pape au laboureur, de la duchesse à l’enfant, accompagne la Mort dans une ronde silencieuse. Cette frise, fascinante et parfois terrifiante, visait autant à rappeler la fragilité de la vie qu’à illustrer, à l’époque des épidémies, que tous sont égaux face au trépas.

L’état de conservation des fresques de Kernascléden est exceptionnel, ce qui les distingue des autres œuvres similaires. Ce cycle pictural fait de la chapelle un site unique en France, au même titre que Saint-Savin pour la préhistoire biblique ou la cathédrale de Bourges pour le vitrail médiéval (Ministère de la Culture - Base Palissy).

  • Superficie couverte par les fresques : environ 150 m2
  • Nombre de personnages représentés : plus de 50 visages différents
  • Particularités : présence rare d’animaux et d’allégories végétales, unique en Bretagne

Un lieu de culte marqué par les temps forts de la vie locale

Bien au-delà de la dimension artistique, la chapelle a toujours été un cœur battant pour Kernascléden. Depuis le Moyen Âge, on y vient pour les festoù-noz, les pardons, les processions mariales et les grands moments de la vie collective. C’est d’ailleurs ici qu’était organisée, chaque 15 août, la bénédiction des landes et des troupeaux, dans une dimension à la fois religieuse et agricole.

Jusqu’au XIXe siècle, le pardon de Notre-Dame attirait plus de 3 000 personnes, chiffre considérable pour une commune rurale, et mobilisait toute une économie de fête : colporteurs, artisans, musiciens. On montait alors des tonnelles pour abriter les pèlerins venus parfois à pied depuis le Finistère voisin - une tradition qui perdure lors des grandes célébrations (Archives Départementales du Morbihan).

Les restaurations, un défi à travers les siècles

Si la chapelle d’aujourd’hui éblouit par la fraîcheur de ses décors, c’est le fruit d’efforts constants. Dès le XVIIIe siècle, de premiers sondages alertent sur l’humidité et la fragilité de certaines peintures. Le XIXe siècle voit la mise en place de campagnes de restauration, menées parfois par des artistes locaux.

  • Grandes campagnes :
    • Entre 1856 et 1870, réparation des charpentes et consolidation de la tour-clocher.
    • En 1955, restauration des peintures murales sous la direction des Monuments Historiques.
    • 2007-2012, importante phase de rénovation, installation d’un parcours de visite et valorisation des fresques (Commune de Kernascléden).

Le choix de techniques douces, respectueuses des enduits anciens, et le recours à des artisans spécialisés expliquent la qualité remarquable des fresques aujourd’hui visibles. En parallèle, la chapelle a été dotée d’une scénographie lumineuse, permettant d’admirer les détails même par temps sombre.

Anecdotes et petits secrets de la chapelle

  • La cloche de la chapelle fut coulée en 1689 et pèse près de 430 kg ; elle est classée aux Monuments Historiques.
  • La vierge de la façade sud, autrefois peinte en bleu vif, est régulièrement recouverte par la mousse, symbole de la persistance de la nature en Bretagne.
  • Le tronc bailleur, situé dans le narthex, comporte une ouverture cachée par un système ingénieux de pivot : les enfants du village s’amusaient à deviner son mécanisme pendant les offices.
  • Un double emploi : lors de la Seconde Guerre Mondiale, la chapelle a abrité temporairement des réfugiés et servi de cache pour de petits trésors familiaux (témoignages recueillis par l’association locale « Kernascléden, Hier & Aujourd’hui »).

Une source d’inspiration pour artistes, chercheurs et visiteurs

Depuis le XIXe siècle, la chapelle attire des peintres, photographes, écrivains et même cinéastes. Elle est citée dans de nombreux guides historiques bretons, à commencer par celui de Benjamin Jollivet en 1863, qui la considérait déjà comme « la perle du gothique rural ». Les stages de dessin d’été et visites nocturnes, organisés chaque année, témoignent de la fascination intacte qu’elle suscite.

  • En 1986, le peintre Yvon Daniel a réalisé une série de 12 aquarelles sur le thème des sablières.
  • Des chercheurs de l’université de Rennes 2 étudient l’évolution des pigments naturels dans les fresques depuis 2001.
  • Le grand chœur d’hommes du Pays de Lorient s’y produit tous les deux ans pour un concert exceptionnel.

Un patrimoine vivant à découvrir : le cœur de Kernascléden

La chapelle Notre-Dame ne cesse de rassembler : entre visites guidées, expositions et moments festifs, elle continue d’être au centre de la vie locale. Symbole d’un patrimoine partagé et transmis, elle invite à l’admiration comme à la contemplation—et, pour peu qu’on prenne le temps, elle murmure à chacun une part du grand récit de la Bretagne.

Pour préparer une visite, il est possible de se renseigner auprès de l’office de tourisme ou directement sur le site de la commune (Commune de Kernascléden).

Sources : Ministère de la Culture, P. de la Bigne Villeneuve (“La Chapelle de Kernascléden”), Archives Départementales du Morbihan, Association Kernascléden Hier & Aujourd’hui, Guide Jollivet, Commune de Kernascléden.

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