Lumière sur un chef-d’œuvre du XVe siècle

Perchée au cœur du Morbihan, la chapelle Notre-Dame de Kernascléden attire les regards, tant par sa silhouette gothique flamboyante que par l’éclat multicolore de ses vitraux. Réalisés principalement entre 1450 et 1470, ils sont classés monuments historiques et comptent parmi les plus précieux de Bretagne (Base Palissy, Ministère de la Culture). Pourtant, nombreux sont les visiteurs qui ignorent tout de leur histoire, de leurs secrets et du travail d’orfèvre qui leur a donné naissance.

Raconter les vitraux de Kernascléden, c’est traverser six siècles en quelques pas et ouvrir une fenêtre, presque intacte, sur les croyances, la vie quotidienne et l’art du Moyen Âge. On y croise des saints familiers, des scènes parfois poignantes ou insolites, des couleurs vibrantes… et même certains détails qui prêtent à sourire. Que peut-on donc admirer dans ce véritable musée de verre et de lumière ? Suivez le guide !

Une mise en contexte : pourquoi tant de vitraux à Kernascléden ?

Pour comprendre la richesse des vitraux de Kernascléden, il faut se rappeler que la chapelle fut construite à une époque de renouveau du vitrail en Bretagne, après la guerre de Succession. Les seigneurs de Kernascléden, soutenus par les riches abbayes de la région et la puissante famille des Rohan, voulaient offrir à la Vierge un sanctuaire resplendissant. L’objectif était autant spirituel (porter la lumière de Dieu) que social (affirmer la prospérité du lieu).

  • Date de réalisation des vitraux : Entre 1450 et 1470, soit pendant la seconde moitié du XVe siècle
  • Nombre de verrières : Dix-huit baies vitrées, toutes d’origine ou restaurées à l’identique
  • Surface totale : Plus de 80 m² de verrières d’époque (Source : POP, Ministère de la Culture)

Quels sont les vitraux majeurs de la chapelle ?

Le grand chœur de la chapelle aligne ses hautes arcatures élancées, ponctuées de fenêtres ogivales où s’épanouissent de véritables récits gravés dans le verre. Certaines baies retiennent irrésistiblement le regard, tant par leur beauté que par leur message.

La grande verrière axiale du chœur : un livre d’images médiéval

Positionnée au centre de la chapelle, juste derrière l’autel, cette verrière monumentale (près de 5,50 m de haut !) fait figure de chef-d’œuvre absolu du site. Elle déroule, sur trois étages et sept lancettes, des scènes de la vie de la Vierge, patronne de la chapelle :

  • L’Annonciation
  • La Visitation
  • La Nativité
  • L’Adoration des Mages
  • L’Assomption de Marie

Chaque panneau foisonne de détails : tenues d’archange miroitantes, chiens courant autour de la mangeoire, habits luxueux des rois mages ou encore expressions touchantes des visages. Cette mise en scène était destinée d'une part à l’édification du peuple – souvent illettré au XVe siècle – et d'autre part à en mettre plein la vue aux visiteurs de passage.

Les saints patrons et acteurs de la foi locale

Sur les verrières latérales, une procession presque continue accueille une trentaine de figures saintes. On peut y reconnaître :

  • Saint Hervé et son loup, compagnon traditionnel des aveugles bretons
  • Saint Yves, défenseur des pauvres et des causes justes
  • Sainte Anne, figure chère à la Bretagne, souvent accompagnée de Marie enfant
  • Saint Jean, très populaire depuis le Moyen Âge breton

À noter : le bœuf de Saint Hervé conserve encore la trace d’un éclat de verre bleu azur d’origine. Peu de vitraux anciens bretons offrent autant de diversité dans la représentation des saints, souvent appelés à la rescousse pour les récoltes, contre la maladie ou lors des grandes foires du pays.

Des scènes rares et quelques particularités

Outre les grands épisodes bibliques, Kernascléden réserve aux observateurs attentifs quelques saynètes moins courantes :

  • La représentation de la Danse macabre, clin d’œil à la fresque célèbre sur le mur nord, fait écho dans quelques détails des vitraux où des squelettes semblent inviter à la méditation.
  • La légende de Saint Corentin : on y retrouve ce saint évêque partageant le poisson de ses maigres provisions… illustration d’un épisode fameux de la hagiographie bretonne.
  • Des figures de donateurs, reconnaissables à leurs vêtements somptueux et leur position à genoux, témoignent de la fierté des communautés locales qui ont financé chaque panneau, souvent en échange de prières pour les défunts.

Secrets de fabrication et anecdotes sur les vitraux de Kernascléden

Les vitraux de Kernascléden n’ont pas seulement un intérêt décoratif : leur technique de fabrication, fidèle aux savoir-faire médiévaux, mérite attention. Le verre utilisé provient des ateliers de la vallée de la Loire ou du Pays de Rennes, importé à prix d’or. Le tout est ensuite assemblé pièce par pièce grâce à une armature de plomb, chaque petite ouverture servant souvent à composer une couleur ou un détail du visage.

  1. La fabrication en chiffres :
    • Nombre de pièces individuelles : Plus de 3 500 morceaux de verre répertoriés sur l’ensemble des baies
    • Nombre de couleurs différentes : Pas moins de 18 verres colorés (dont 3 aujourd’hui disparus, mais reconstitués lors des restaurations du XXe siècle – source : La Saga des Vitraux, Musée de Vannes)
  2. La « signature » des maîtres verriers : Plusieurs animaux cachés (écureuils, grenouilles…), qui servaient selon la tradition à personnaliser l’œuvre du maître d’atelier. Certains sont visibles à la jumelle dans les panneaux sud.
  3. Des vitraux miraculés : La plupart des vitraux ont survécu à la Révolution, contrairement à beaucoup d’autres églises bretonnes. Seuls trois petits panneaux du transept nord ont été détruits par une tempête en 1902, puis habilement remplacés à l’identique (voir : Base Palissy).

Parcours de visite conseillé et astuces d’observation

Pour admirer les vitraux dans les meilleures conditions, la lumière du matin entre par les fenêtres sud et ouest, révélant progressivement les teintes franches des scènes principales. L’été, entre 11h et 13h, les couleurs projettent de véritables arcs-en-ciel sur les pavés du chœur. N’hésitez pas à vous munir de jumelles compactes ou à demander à la médiatrice de la chapelle un petit fascicule explicatif qui détaille chaque baie (disponible en français et en breton).

  • Les jeunes visiteurs apprécieront le jeu de piste proposé tout l’été, pour retrouver les animaux cachés et les personnages à chapeau pointu dans le dédale des scènes bibliques.
  • Ne manquez pas la visite guidée estivale organisée par l’association Les Amis de Kernascléden, qui propose une lecture commentée des vitraux tous les mercredis à 15h – réservation conseillée.

Restaurations et perspectives d’avenir

Les verrières de Kernascléden ont nécessité plusieurs campagnes de restauration depuis le XIXe siècle. Les dernières interventions, réalisées entre 2007 et 2010 par l’atelier Le Bihan de Quimper, ont permis de stabiliser les armatures et de “raviver” les couleurs sans jamais trahir la main du Moyen Âge. Les recherches en cours visent à mieux comprendre les choix iconographiques des vitraux, parfois dictés par les commanditaires locaux, d'autres fois par les influences venues d’Angleterre ou de la vallée de la Loire.

À l’horizon 2025, un projet de réalité augmentée devrait permettre aux visiteurs de Kernascléden de “zoomer” virtuellement sur chaque panneau, d’y lire la traduction de certains textes latins et d’en découvrir les secrets rarement visibles à l’œil nu. Une initiative qui promet une nouvelle manière d’entrer en dialogue avec ce patrimoine lumineux !

L’art du vitrail à Kernascléden : un patrimoine vivant

Les vitraux de la chapelle Notre-Dame de Kernascléden ne sont pas de simples témoignages du passé. Ils continuent de parler aux visiteurs d’aujourd’hui : par leur force narrative, leur vivacité de couleurs et les liens qu’ils maintiennent entre la vie du village, la terre du Morbihan et la grande histoire de l’art sacré européen.

Qu’on vienne pour prier, pour flâner ou pour s’émerveiller, il y a toujours une émotion à découvrir la lumière filtrée sur la pierre blonde du chœur, et à décoder, au fil des saisons, les silhouettes familières ou mystérieuses du verre médiéval. Kernascléden invite ainsi chacun à un voyage dans le temps… tout en gardant les deux pieds dans le présent.

Pour préparer votre visite ou en savoir plus, des ressources sont accessibles auprès de l’Office de tourisme du Pays du roi Morvan et dans la base numérique du Ministère de la Culture (Base Palissy, IM56001441). On y trouve également des photographies détaillées des principales verrières et des notices historiques à consulter librement.

Le rendez-vous est pris pour tous ceux qui souhaitent saisir, en un regard, la beauté et la singularité de ces vitraux, véritables “livres ouverts” sur le Moyen Âge breton.

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